Les lieux font-ils les héroïnes? Le paysage préface-t-il l’intrigue? Comment un texte s’ancre-t-il dans un territoire?
Maryline DESBIOLLES, L’Agrafe, Sabine Wespieser, 145 pages
Nous sommes dans l’arrière pays niçois, plus précisément à l’Escarène. Loin la mer. Irréels les touristes allongés sur le sable bouillant. Peut-être faut-il être dans des lieux a priori sans attrait et sans histoire pour comprendre quelque chose sous le soleil…
Cela commence par une ligne de crête et des sentiers sur lesquels une jeune fille court avec le vent. Courir avant de commencer à saisir le sens de la vie, avant d’être arrêtée dans sa course par un chien qui mord une jambe. Précisément sur l’agrafe, cet os qu’on appelle aussi le péroné.
Finis pour un temps les extérieurs-jours écrits en plan large et en plan séquence ciselés. Commencent les intérieurs-nuits et l’acceptation des séquelles de l’accident. Mais le voyage intérieur ne fait que débuter.
Réapprendre à marcher à l’Escarène c’est regarder dans d’autres directions et considérer le lieu comme jamais auparavant. Alors s’éclaircissent les vérités familiales, jamais cachées, jamais révélées. Au fond du vallon du Paillon, l’héroïne découvre son histoire familiale, celle des Harkis, installés, pendant des années, dans l’ombre d’une vallée interdite au soleil et aux curiosités malsaines. Qui voudrait revoir ce camp d’exilés, d’où les femmes ne sortaient jamais? A qui raconter à nouveau ce que vécurent les exilés de masse du siècle dernier?
Ce qui fait la force de ce texte court c’est une narration polyphonique, un « on » comme un murmure bienveillant ou malveillant, un regard insistant posé sur les personnages qu’on n’arrive jamais pleinement à saisir. Est-ce à cause de la course? Est-ce à cause du vent? Est-ce seulement que chaque habitant d’un lieu pose sur un paysage une infinité de vérités…ou de narrations? Qui sait? Ce n’est pas à l’autrice de nous dire ce que chaque lecteur peut trouver sur les crêtes ou aux creux des vallons de l’Escarène…
Extrait :
« Toujours on l’a connue qui courait. Notre mémoire nous joue des tours, on exagère mais il nous semble qu’elle ne marchait jamais comme vous et moi, qu’elle ne pouvait que circuler à toute allure, qu’elle ne pouvait pas faire autrement que de débouler. »
Par Nadine Brunelot | 27 octobre 2024