Textes de Nadine BRUNELOT – Résidence avec Dane CUYPERS (été 2021)

1. Les allitérations en -s d’après un extrait de JeanRené Huguenin , La côte sauvage

            Sur la route serpentine, soudain, « stop ! on s’arrête ! des cerises ! c’est la saison ! » Sur les bords d’un sentier des saletés herbeuses, poussaient et croissaient. « Super pour s’y assoupir ! » Chacun selon son souhait, pour un somme, pour des cerises. Lui, après avoir sucé six ou sept cerises, se prélassa pour la séduire. Elle, svelte, sauvage, splendide lui sembla une danseuse. Soit ! Elle dansa. Soudain son pied glissa, elle sentit la chute. Sur son épaule du sang s’échappa. Lui observait. « Mais où est la serviette ? » « Reste sage, ce sang, c’est rien ! ». Il aspira le sang sur l’épaule blessée. « C’est meilleur que la cerise ! » « Salaud ! Sanguinaire ! Tu suces comme un assoiffé ! C’est insupportable ! Stop tu me fais saigner ! » Il souleva le sourcil, l’œil sans expression, les commissures salies, étincelantes ! Était-ce aussi un sourire ? Sa tête s’amollit et son front sua. « Le soleil, les cerises, tout ça ne me satisfait plus », pensa-t-il. Dans leur Saab, sans trop en saisir la cause, Sandra sentit le souffle froid de la solitude, la saveur des cerises s’était dissipée. Lui observa le soleil rouge et repensa au délicieux repas servi sur le plateau d’une épaule, bien saignante.

2. Le mot le plus court. Réécrire un extrait d’un texte de Céline, Voyage au bout de la nuit

            Dors Luce, plonge, là tout en-bas. Tombe lourd. Tu es plomb, mais pas or. C’est toi en vrai. Sous mes yeux, sûre de rien et toute à moi. Je te lorgne comme ça et je ris. Ton corps mou, doux, saoul, vit et meurt. Laid. Vrai. Moche, une cloche. Souple soie pâle et douce qui est ta peau. Pas de mot. Plus de rire. Rien à faire. Tout à vivre.

            Où tu bosses, belle gosse ? Je te vois, tes mains bougent. Tes yeux dansent. Ou quoi ? Pleurent ? Tu dors mal dans tes rêves, tu cours, pompe, marche, lave, monte, range…. Et mange, bouffe, tout ce qui vient. L’air en mousse, l’arbre en touffe. Mange en douce. Ta bouche suce et lèche. Rien ne reste.

            Puis pars, fuis ce lieu et viens. Garde-le ce voile rose sur ta joue. Veines fières, moue de môme. Pauvre vieille, tu dors comme tu es, bête et belle, comme tout le monde.

3. Écrire sur une odeur – approche sensorielle

Thème :  l’odeur du feu qui sent comme une alarme, un soir avant Noël ( début de texte)

            C’est un soir de Noël. Tout le monde sait à quoi ressemblent les soirs de Noël au nord de l’Équateur. Des lumières s’éclairent dans des artifices joyeux. Le rouge brûle avec le bleu. Le doré, un brin clinquant, est partout. Les yeux aussi changent d’éclat, des points plus brillants collés sur les pupilles. C’est un soir de Noël où le bonheur est une voûte céleste, légère et si haut perchée. La fatigue des corps a oublié sa langueur, sa langue molle. On a mis des paillettes sur les cous et les parfums des femmes diffusent une joie unique, parce que décidée, attendue, méritée ! Les soirs de Noël sont d’un prévisible heureux, ventres tendus de certitudes. Sur les tables on joue du fer ou plutôt de l’argent, la ménagère astiquée au Miror revoit enfin la lumière. Tout brille comme au soleil. Franchement, ostensiblement, mirifiquement. Depuis le jardin plongé dans la nuit, la pièce est incandescente. Même la musique enflamme le lieu, l’enchante.

            Puis la lumière n’éclaire plus. Les couteaux ne renvoient plus d’étincelles, les paillettes se sont éteintes brusquement. Le noir n’est pas venu seul. Le froid tout à coup glace l’ambiance. Qui a ouvert les portes ? On cherche à tâtons une veste de laine fine sur un dos de chaise. Noir sur fond noir. Par chance, la main trouve. Pourrait-on dire combien de temps la nuit polaire a paralysé les hommes au cœur de leurs agapes ? Les aiguilles du temps arrêtées aussi, amollies par la chaleur, nouvelle, déconcertante, terrible. De la cuisine plus rien de bon ne sort. Des ombres affolées sortent du lieu dans des bousculades. D’autres ombres immobiles, attrapées par la peur, sont secouées à leur tour. Soudain un bruit. Noël arrive ? Non, Noël ne viendra pas. Qui change le cours de cette histoire, immuable, rassurante, droguée de papillotes ?

            Une odeur de vomi monte à la gorge depuis les estomacs des ventres juste rassasiés. Bile incroyable sortie à la place des mots. Une petite fille arrive pourtant à le dire le mot d’alerte. Au feu ! Au feu ! La cuisine s’embrasse, spectacle pyrotechnique qui tourne mal, presque un enfer ! Fuyez, courez, sortez ! Qui met si violemment tout ce beau monde à la porte ? Une odeur ! Elle est entrée avec brusquerie par les bouches ouvertes de sidération, a circulé, selon la loi de la gravité au fond des cavités vides des corps manquant d’oxygène. Odeur arapède sur les poumons et jusqu’aux alvéoles, serpentine dans tous les autres organes. On avale les couleuvres de l’incroyable. Tout un vivarium à dégueuler au plus vite ! L’odeur acre vient piquer les yeux, faire tousser les bronches qui la boivent la tasse de fumée, et comment ! Entre partout l’odeur de ce Noël qui pue la cendre et intoxique par la brûlure des plastiques en combustion !

(Nadine BRUNELOT)

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