Le temps d’un entre-deux tours / Atelier en ligne

Atelier en ligne

Ce soir, vendredi 20 mars, nous avions prévu une soirée adhérents de La plume et l’image. Tout était prêt, les propositions d’écritures ludiques, les adhérentes venant présenter leurs derniers ouvrages. Patatras, on a annulé…

Mais comme on a bien travaillé, que l’on n’aime pas gâcher et que vous avez peut-être un peu de temps et l’envie de vous changer les idées, je vous propose l’une des propositions prévues pour ce soir. En un peu plus construite, du coup.

On est dans l’entre deux tours, même s’il va durer autrement plus longtemps que prévu. Et je me suis dit que vous deviez avoir des idées pour Marseille (ou Septèmes, Aubagne, Gémenos, La Penne-sur-Huveaune, La Destrousse, Plan-de-Cuques, Châteauneuf-lès-Martigues pour ne vexer aucun adhérent).

1er tour : le Marseille que l’on aime

Il y a mille façons d’écrire sur une ville. Guides Routard, Futé, Bleu, Autrement : les styles ne sont pas les mêmes. Albert Londres, Jeanne Laffitte, Suarés, voilà encore autre chose.

Un exemple, le guide Autrement, éd. 1998, p. 65 présente la Pizzeria Jeannot :

“ A la terrasse qui domine le petit port de pêche, ou bien à l’abri dans l’annexe flottante amarrée juste en dessous, une pizzeria typiquement marseillaise (pizzas, chaussons, tagliatelles, moules à la provençale, grillades…) et une vraie tranche de vie. L’endroit est unique, amis connu des Marseillais : dès les beaux jours, il est prudent de réserver. ”

Proposition 1

Écrire à la façon d’un guide sur un lieu de Marseille qui nous tient particulièrement à cœur.

Qu’est-ce-que c’est, à quoi sert-il ? Décrivez rapidement sa situation, son aspect, sa décoration, parlez des gens que l’on y voit, personnalisez la description en disant ce que vous y faites.

Vous avez 25’

2e tour : le Marseille qui nous manque

Marcel Roncayolo est urbaniste et géographe, auteur de « L’imaginaire de Marseille : port, ville, pôle », CCIM, Marseille, 1990. Dans l’article sur la ville dans l’Enciclopedia Einaudi, il écrit : « La ville est une représentation, ou un ensemble de représentations. »

Comment nous représentons-nous Marseille ? Comment la fiction peut-elle parler de ces représentations ?

La fiction donne souvent plus de force aux choses que la réalité.

Le discours littéraire modifie la réalité.En deux exemples, on constate que l’on peut parler très différemment de la même chose.

Jeanne Laffitte et Olivier Pastré, dans Les 100 mots de Marseille, PUF – Que sais-je ?, Paris, 2012, p. 52, parle des dockers :

“ Du temps de la marine à voile, on les appelait les « portefaix ». On les appelle aujourd’hui les dockers, contraction du mot anglais dockworker. S’ils ne sont pas les seuls responsables de la très faible productivité de la manutention portuaire marseillaise (66 mouvements de containers par heure d’escale contre 78 à Barcelone et 100 à Hambourg), ils y participent activement. Un salaire moyen mensuel de 2 700 €, pouvant atteindre 4 500 € grâce à des « gratifications » illégales ; un temps de travail culminant à quatorze heures par semaine ; des grèves à répétition (tous les ans depuis 2007) ; des heures supplémentaires en hausse de 21 % entre 2006 et 2008 alors même que le nombre d’heures travaillées a diminué, dans le même temps, de 4 % ; un absentéisme qui dépasse en moyenne vingt-six jours par an et des dépenses d’action sociale 20 fois supérieures à celles du port du Havre ou de Nantes, selon le dernier rapport de la Cour des comptes : qui dit mieux ?

Des progrès ont été faits à Fos et pour la « manutention horizontale » (roulantes). De nombreux progrès restent à faire à Marseille même, et pour la « manutention verticale » (les conducteurs de portiques pour containers). L’avenir du port de Marseille en dépend. ”

et Albert Londres, Marseille porte du Sud, Ed. Jeanne Laffitte, Marseille, 1980, pp. 69-71, parle lui aussi des dockers :

“Place de la Joliette

Vers six heures trente du matin vous sentez tout de suite que les trams qui passent ne sont pas faits pour vous. Ce sont les trams bleus. Ils ne sont pas du même bleu que les trains qui, à Calais, prennent les Anglais pour les conduire sur la côte. Le bleu des trams de Marseille est à l’intérieur des voitures. Il est sur le dos des voyageurs. Ce bleu est celui des habits de toile des ouvriers sans profession, les dockers. Ils vont place de la Joliette. C’est une grande place à terreplein. Un haut immeuble frotté d’architecture la flanque à gauche : la compagnie des Docks. En face, un poste de police. Autour, les sièges des syndicats. Des bars. Les dockers arrivent. Ils ne vont pas au travail, ils viennent chercher de l’embauche. Alors la place prend son véritable visage. Elle devient une foire aux hommes. Qu’est ce qu’un docker ? On vous répondra : « C’est un homme qui charge ou décharge les navires dans les ports. » Eh bien ! celui qui aura fait cette réponse, si exacte qu’elle puisse paraître, ne vous aura rien répondu de bon. Évidemment, un docker est un homme qui coltine des ballots dans les docks. Mais quel est cet homme qui s’est fait docker ? On apprend à être mécanicien, chaudronnier ou maçon. On devient docker. Être mineur, forgeron, ébéniste, c’est avoir un métier. Docker n’en est pas un. On n’est pas ouvrier en étant docker. Si les circonstances l’exigeaient, il me faudrait du temps pour être horloger, couvreur ou vitrier. Le lendemain matin, à sept heures, je serais docker. On rencontre des ouvriers parmi les dockers, ce sont justement des ouvriers sans travail. Un docker est un homme qui travaille durement pour la seule raison qu’il n’a rien à faire. Mais il faut manger. D’où viennent-ils ? Ils ont couché à la Belle-de-Mai. C’est le quartier le plus accueillant pour les gens en peine. Mais d’où venaient-ils ? Ce sont des nomades français, arabes, syriens, espagnols, belges, italiens. Que font-ils à Marseille, puisqu’ils n’ont rien à y faire? Ils y font les dockers ! Vers onze heures trente, la matinée terminée, les dockers repassent place de la Joliette. Ils vont déjeuner. Qu’ont fait ces hommes-là pour sentir aussi mauvais ? On dirait qu’ils ont bu tant d’huile de foie de morue qu’à la fin cette huile ressort par leurs pores. On pourrait assaisonner la salade pour tout un régiment rien qu’en passant leurs vestes bleues. Ils ont coltiné des huiles de poisson. Ceux-là ne peuvent cacher leur profession, ce sont les charbonniers. On va au charbon quand on ne peut plus, mais plus du tout, faire autre chose. Un charbonnier de quai est moins ouvrier encore qu’un docker. Il est un déchet du port, un débris de la vie. Autrefois, il a été notaire, professeur, quelques-uns auraient dans leur poche des diplômes de baccalauréat ou de licence s’ils avaient encore quelque chose à mettre dans leurs poches. Il n’y a pas d’Arabes, pas de nègres chez les charbonniers. Ils sont immédiatement après le dernier barreau de l’échelle sociale, c’est-à-dire tout à fait par terre. Ce sont des Blancs d’Europe : déserteurs espagnols, grecs, enfin de tout ! Des Français. Je n’ai rien su d’eux. Un seul m’a dit quelques mots dans ce souterrain du quai des Anglais où j’allais les voir manger. Un opérateur de cinéma s’acharnait à prendre la scène. Il ne provoquait d’ailleurs l’attention d’aucun des mangeurs. Alors l’homme m’a dit :

– Cela ne signifiera rien s’il ne reproduit pas en même temps sur l’écran notre acte de naissance. Puis il s’est tu. Il avait des mains fines. Il ne possédait plus rien que l’histoire de sa vie. Je ne pouvais cependant pas lui demander qu’il me l’offrît ! C’est la légion étrangère sociale ! Le soir ils traversent de nouveau la place. Ceux-ci ont brouetté de la chaux. Dur travail ; ils ont toussé souvent depuis ce matin. Ceux-là sont saupoudrés d’une poudre couleur chair, ce sont les porteurs de sacs de blé. Mauvaise, la poussière du blé, surtout dans les cales. Ils ont bu beaucoup. D’autres ont déchargé des tonnes de cacahuètes. Les saletés qu’ils ont dans les cheveux viennent de Pondichéry. Ceux-ci crachent, c’est à cause du salpêtre. Ces autres pleurent, ils ont entassé du soufre. En voilà qui frottent leurs mains sur la bordure du trottoir, pierre ponce municipale ; ils étaient au gambier ! Ces hommes de bronze qui luisent comme des lépreux hindous sortent de la mine de plomb. En voilà qui ont les bras qui «grelottent». On a envie de leur donner de la quinine, mais ils n’ont pas la malaria, ce ne sont que des hommes de treuil. Et voici les hommes des barils de ciment, ils se secouent. Ces autres surgissent du noir animal. Il en est qui empoisonnent : ils travaillent aux matières périssables. Ces plus vieux qui semblent si fatigués et qui rapportent un léger butin ce sont les chiffonniers de la mer. Riches de vingt-six francs, tous vont maintenant faire les hommes libres dans le grand Marseille aux bras toujours ouverts.

”La différence du point de vue saute aux yeux, même si l’époque n’est pas la même !

Et nous, comment nous représentons-nous le Marseille que nous aimerions, celui qui nous manque ?

Proposition 2

Écrire sur le lieu que nous voudrions ajouter à Marseille, comme si cela existait réellement. À travers ces lieux imaginaires, c’est une image du Marseille auquel nous aspirons que nous dessinerons. C’est le lieu dont nous rêvons pour la ville. Un lieu que nous avons aimé ailleurs et que nous aimerions retrouver ici, un qui n’existe nulle part ailleurs que dans nos rêves. C’est ce qui pour nous (et pas forcément pour l’intérêt collectif) manque à Marseille. C’est ce que vous créeriez si vous étiez élu Maire de la ville. Et pourquoi, puisque le 2e tour est encore loin, ne pas envoyer nos lieux rêvés aux candidats ?

On lira avec profit Jean-Philippe Toussaint, Comment j’ai construit certains de mes hôtels in L’urgence et la patience, Ed. de Minuit, Paris, 2012, pp. 47-54 :

“Je pourrais fermer les yeux et les invoquer tour à tour, les hôtels de mes livres, les faire revenir, les matérialiser, les recréer, je revois la petite entrée de l’hôtel de Venise dans La Salle de bain, les escaliers sombres et inquiétants de l’hôtel de Sasuelo dans La Réticence, je revois le long couloir du seizième étage de Faire l’amour, je revois le couloir encombré de bâches et de pots de peinture de l’hôtel en construction de Fuir. Je revois des halls de réception déserts et des couloirs labyrinthiques. Je ferme à peine les yeux – je peux fermer les yeux en les gardant ouverts, c’est peut-être ça écrire –, et je me trouve immédiatement dans le grand hall désert de l’hôtel de Tokyo aux lustres de cristal illuminés.

Il y a des hôtels dans presque tous mes livres. Je ne les construis pas avec des matériaux de construction habituels, pas de murs porteurs, pas de poutres, d’échafaudages, guère de béton et de briques, pas de verre, de bois, d’aluminium, je me contente de peu, quelques adjectifs de couleur dans les chambres, pour les rideaux, les couvre-lits (« murs humides et sales, tapissés d’un vieux tissu orange assorti aux fleurs sombres du couvre-lit et des rideaux »). Je ne dessine pas les plans de mes hôtels avant de les construire, mais presque toujours je les vois, comme dans un rêve, les hôtels de mes livres sont des chimères d’images, de souvenirs, de fantasmes et de mots.

Il y a toujours quelques personnages ici et là dans les hôtels que j’ai construits, des fantômes plus ou moins inspirés de personnes réelles que j’ai croisées lors de mes voyages, le réceptionniste de l’hôtel de Venise, des femmes de chambre invisibles, des grooms en livrée noire et boutons dorés avec une petite toque noire sur la tête, des portiers inventés, en habit d’apparat, redingote et gilet gris, qui veillent devant des portes d’hôtels imaginaires. À côté de ces silhouettes à peine esquissées, il y aurait les contours plus consistants de quelques figures qui friseraient le statut de personnage de roman, mon ami le barman de l’hôtel de Venise, le patron de l’hôtel de Sasuelo, la patronne de l’hôtel L’Ape Elbana à Portoferraio. On pourrait retenir des convergences entre tel et tel de mes hôtels, entre la réception de l’hôtel de Venise et celle de l’hôtel Hansen à Shanghai, on noterait des lignes de force, des points communs, des coïncidences asiatiques, des convergences méditerranéennes, un style peut-être se dessinerait, les chambres auraient des motifs récurrents, il y aurait un petit perron commun à plusieurs livres. J’aurais pu commencer une phrase à Madrid au début des années 1990 et la finir en Corse quinze ans plus tard :

L’entrée de l’hôtel présentait un petit perron fleuri, au haut duquel s’ouvrait une double porte vitrée. Je gravis le perron et traversai la tonnelle sous laquelle des nappes blanches avaient été dressées pour le déjeuner.

Le petit perron fleuri serait le même, issu d’une imagination pérenne. Mais la première phrase est issue de La Réticence, 1991, et évoque l’hôtel de Sasuelo, et la deuxième est tirée de Fuir, 2005, et décrit un hôtel à Portoferraio.

Dans La Salle de bain, pendant une quinzaine de pages, je me suis ingénié à cacher que l’hôtel se trouvait à Venise. Je ne me suis jamais préoccupé de lui trouver un emplacement plausible dans la ville, un lieu réel où le construire (les Zattere, par exemple), ni même un lieu imaginaire où il s’érigerait. L’hôtel n’avait ni entrée ni façade ni enseigne, c’était un hôtel purement mental, une vue de l’esprit, je ne m’intéressais qu’à la chambre, l’intérieur de la chambre où s’enferme le narrateur. Au-delà de cette chambre, j’ai construit un réseau de couloirs, de corridors, de coudes, de paliers et d’étages (« c’était un labyrinthe, nulle indication ne se trouvait nulle part »). Les autres pièces n’apparaissent dans le livre qu’au gré de mes besoins romanesques, par apports successifs, non pour tenter de constituer un ensemble architectural harmonieux et fonctionnel, mais au rythme des scènes que je compose, chaque pièce n’étant créée que pour sa fonctionnalité fictionnelle.

L’image fondatrice de Faire l’amour est un bref dialogue entre le narrateur et Marie devant la grande baie vitrée d’un hôtel de Shinjuku, à Tokyo. Le livre s’est construit à partir de cette image, elle s’est imposée à moi tandis que je marchais dans le petit sentier abrupt de la Tour d’Agnelo en Corse. J’ai tout de suite su que cette image donnerait naissance à un livre et non à un film, car c’était une image littéraire, faite de mots, d’adjectifs et de verbes, et non de tissus, de chairs et de lumières. La façon dont j’ai construit cet hôtel à Tokyo est tout à fait représentative de la manière dont je construis mes hôtels, autant dire de la façon dont je construis mes personnages. Car, d’un point de vue littéraire, il n’y a pas de différence entre construire un hôtel et construire un personnage. Dans les deux cas, des détails issus de la réalité se mêlent à des images qui se forment dans l’imagination, le songe ou le fantasme, parfois s’ajoutent quelques esquisses, des petits dessins, des photos, des documents plus classiques, des guides touristiques, un plan de Tokyo détaillé, des prospectus qui me permettent de localiser les hôtels dans l’espace et de recopier leur adresse exacte (2-7-2, Nishi-Shinjuku, Shinjuku-ku). Je ne compose un hôtel qu’à partir de plusieurs hôtels existants. Je les mélange et je les fonds ensemble pour en créer un à ma mesure, nourrissant mon imagination de détails véridiques puisés dans la réalité qui vont se greffer à l’hôtel en devenir que je suis en train de construire. C’est vrai pour les hôtels comme pour les personnages de mes livres – je fais mine de parler d’hôtels, mais je suis en train de parler d’Edmondsson ou de Marie.

De la même manière qu’il faut plusieurs centaines de kilos d’arbustes aromatiques pour produire, par distillation, un flacon d’essence de romarin, il faut éteindre beaucoup de vie réelle pour obtenir le concentré d’une seule page de fiction. Ce réseau d’influences multiples, de sources autobiographiques variées, qui se mêlent, se superposent, se tressent et s’agglomèrent jusqu’à ce qu’on ne puisse plus distinguer le vrai du faux, le fictionnel de l’autobiographique, se nourrit autant de rêve que de mémoire, de désir que de réalité. Un tel mélange d’influences est particulièrement frappant dans le cas de l’hôtel de Tokyo, où la chambre m’a été inspirée par une chambre d’un hôtel où j’avais résidé à Osaka et l’extérieur par un hôtel que je connaissais à Tokyo, ce qui fait que deux hôtels au moins m’ont servi de modèle pour construire cet hôtel imaginaire, sans compter d’autres hôtels encore, à Sendai ou à Shinagawa, auxquels j’ai emprunté ici et là quelque dernier détail (la scène du téléviseur qui s’allume tout seul dans la chambre pour prévenir de l’arrivée d’un fax m’a été inspirée d’un épisode qui m’est réellement arrivé dans un hôtel de Shinagawa). Ainsi, comme au cinéma, où il est fréquent que l’on mélange plusieurs lieux pour composer un décor unique, l’intérieur et l’extérieur de l’hôtel ne correspondent pas, mais forment un nouvel ensemble, un bâtiment hybride, fantasque et littéraire, une construction immatérielle d’adjectifs et de pierre, de métal et de mots, de marbre, de cristal et de larmes.”

Utiliser la même grille que pour le lieu réel.

Prenez 30’ ou plus, selon affinités.

J’aimerais beaucoup lire vos textes, je vous promets en retour un commentaire sur ce qui me semble plus ou moins bien fonctionner et sur les possibilités de prolongement.

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Jean-Paul Garagnon

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